Philosophie et biographie
Niveau 2 - Jean-Michel Besnier
On attend communément du philosophe qu’il mène une existence conforme à sa pensée. On lui reconnaît le plus souvent une vocation à construire une représentation cohérente et communicable du monde, une exigence d’harmonie et de bien-vivre. Cela veut-il dire que nous ne saurions jamais être déçus par un philosophe, ni éviter de le soupçonner d’imposture ? Bergson considérait que toute philosophie est l’expression développée d’une expérience. C’était dire qu’un noyau existentiel demeure au cœur des œuvres philosophiques. Comment ne pas imaginer, en ce sens, que la vie puisse troubler le concept ? Rousseau écrit l’Emile après avoir abandonné ses enfants ; Sartre défend la liberté et soutient le stalinisme, Hegel jeune rêve de révolution et légitime au final l’Etat autoritaire… Nombre d’exemples d’apparentes incohérences entre philosophie et biographie incitent à mener l’enquête. Contre une tradition qui voudrait qu’une œuvre philosophique – comme une œuvre d’art – se suffise à elle-même, on se risquera à engager une biographie du concept et, par là même, à incarner la pensée. Certains philosophes ont livré délibérément des éléments de leur vie, assumant la part irréductible de leur existence au creux de leur pensée. D’autres, au contraire, en sont les victimes pour ainsi dire inconscientes.