La théorisation du contrat social en philosophie est la conséquence de l’Homme des Lumières : rationnel et raisonnable, donc capable d’un calcul intéressé pour déterminer et mettre en place la solution sociale qui le protègera le plus. La notion même de contrat social part des présupposés que l’individu précède la société civile, et que celle-ci n’est pas un accident mais bien le résultat d’un accord mutual entre les différents acteurs du contrat.
Trois notions apparaissent donc. Si la société civile apparait dans un temps second, alors avant elle, l’Homme existe dans un état de nature. Il n’est relié à autrui que par leur nature humaine commune. Une fois le contrat social défini, plusieurs types de relations se mettent en place. Celle des individus entre eux qui se mettent d’accord pour créer une structure et lui déférer le pouvoir et celle de ces individus à la structure qu’ils mettent en place, l’Etat. Il s’agit respectivement d’un contrat d’association et d’un contrat de soumission.
Penchons nous maintenant sur les trois grands théoriciens modernes du contrat social.
Hobbes théorise le Léviathan dans l’ouvrage éponyme de 1650. Le Léviathan est une créature biblique toute puissante qui figure pour lui l’état, créé par l’Homme pour répondre au danger et à l’insécurité de l’état de nature. En effet, pour Hobbes, l’état de nature est un temps de guerre constant, ou “l’Homme est un loup pour l’Homme”. Ainsi le contrat social n’est pour lui qu’une soumission à ce Leviathan, en échange de la sécurité. Hobbes réalise ici une identité entre contrat d’association et contrat de soumission. L’Etat ne tient que par l’unilatéralité de la relation entre citoyen et lui. Le maître n’est en effet pas lié par ce contrat. Son pouvoir est absolu.
Pour John Locke, qui le théorise dans Essais sur le gouvernement civil, l’état de nature est différent. C’est un état raisonnable et harmonieux ou chacun a le droit fondamental de défendre sa vie et sa propriété. La seule justification d’un contrat social est donc pour lui de garantir ces droits par la structure, non de mettre en place. Il s’oppose également à Hobbes sur le procédé de création de ce contrat. Pour Locke, la société civile se base sur un consentement mutuel (contrat d’association) et une soumission conditionnelle à l’Etat, c’est-à-dire tant que celui-ci représente les intérêts de la majorité. Pour éviter l’abus de pouvoir, la séparation de ceux-ci est capitale. Un seule instance ne peut avoir en main les pouvoirs législatifs et exécutifs. Locke est un des premiers penseurs du libéralisme.
Il va beaucoup influencer le Contrat Social de Rousseau, notamment dans sa conception des volontés et intérêts humains comme naturellement harmonieux.
Rousseau parle de l’état de nature comme d’un état nul, c’est-à-dire neutre moralement et intellectuellement. L’homme n’a pas encore été dégradé mais n’a pas encore réalisé son potentiel non plus.
Il est important de rappeler que cette distinction entre état de nature et société civile n’est pas chronologique mais théorique, l’état de nature n’a pas réellement existé comme tel. L’état de nature n’est qu’une extrapolation théorique de ce que rousseau considère comme naturel en chaque individu : une amoralité. L’homme ne veut pas le mal, puisqu’il faut avoir une notion d’autrui comme semblable pour vouloir le mal, et que celle ci arrive après la société civile, mais ne veut pas le bien non plus, qui de même est un concept défini par le contrat d’association.
Pour Rousseau, le problème du contrat social est celui-de la liberté. Comment permette à l’humain de réaliser son potentiel sans pour autant aliéner sa liberté? La garantie de cette liberté est pour lui la souveraineté, mais comment assurer celle-ci. Il énonce le problème comme suit : “Trouver une forme d’association par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant".
La réponse est pour Rousseau un abandon mutuel de la liberté naturelle (défendre ses biens et sa vie par n’importe quel moyen) , qui permet à tous de gagner la liberté sociale ( être protégé par des lois qu’on a soit même définies). Le contrat social de Rousseau est un pacte de substitution.
« Au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental substitue, au contraire, une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit. » Rousseau, Du Contrat Social, Livre I, Ch 9
Se poser la question du contrat social est donc capital pour penser la légitimité d’un gouvernement et le bon fonctionnement de celui-ci, mais pour le faire complètement il est nécessaire d’intéresser aux philosophes qui ont mis en avant les oubliés du contrat social ( Le contrat racial, Charles Mills et le contrat sexuel, Carol Pateman, notamment) et ceux qui se sont penchés sur les abus, comme Hannah Arendt qui a pensé la tyrannie, l’autoritarisme, le fascisme et le totalitarisme.